Tout ce qui ne se dit pas [Reever]

Les mots sont comme des dessins. Ils ont chacun leur forme. Ils évoquent chacun quelque chose à qui les regarde et il ont tous un sens. Mais le problème est qu'un dessin est compréhensible universellement. Les mots ont besoin d'être transcrits dans d'autres langues pour être compris à travers le monde entier. Et traduire, cela prend du temps et coûte de l'énergie. Pourtant, avec le temps Myriana avait appris à apprécier ce travail, mais elle le trouvait toujours aussi harassant mentalement. Et puis, ce qu'on a à traduire n'est pas toujours ce qu'il y a de plus intéressant au monde, surtout quand on travaille pour la Congrégation de l'Ombre. Mais depuis le temps, elle avait appris à se faire une raison.

Fatiguée par quatre heures de travail sans interruption, la roumaine avait décidé de s'accorder une pause. Contrairement à bon nombre de ses collègues, elle n'avait pas un emploi du temps régulier ni strict. Elle ne s'imposait aucune heure définie, ne voulait pas se donner des limites pour la simple et bonne raison qu'elle pourrait les dépasser un jour et ne pas les atteindre le lendemain. Alors elle faisait du mieux qu'elle pouvait à chaque fois et ne prenait de pause que lorsque c'était nécessaire. Il ne faut pas être trop dur avec soi-même, ça n'est jamais très bon.

La blonde s'étira en se balançant en arrière sur sa chaise et regarda l'horloge murale située à l'autre bout de la pièce. Même en restant des heures à travailler sur des petits caractères en vue de près, elle n'en conservait pas moins une bonne vue en général. A cette heure, il ne restait que quelques minutes avant la pause de Wenham, ce serait une bonne occasion pour aller lui parler. Cela faisait déjà cinq ans qu'elle était là, pourtant Myriana ne connaissait pas grand monde au sein de la Section Scientifique. Il avait fallu six mois avant que le jeune Commandant Reever de l'époque ne vienne la voir pour essayer de lui parler. Ce n'était pas chose facile. A sa sortie de Central, elle était une enfant taciturne et solitaire, parfois même agressive. Il avait su lui prouver que la Congrégation n'avait rien à voir avec Central. Avec le temps, il était devenu un ami et bon nombre de fois son visage était apparu sur les carnets de croquis de la jeune femme...Quand bien même il n'aimait pas toujours l'idée d'être observé sous toutes les coutures puis redessiné.

Elle se leva et après avoir plié puis détendu ses jambes plusieurs fois, prit la direction du bureau de l'australien, sans doute encore sous une pile conséquente de travail. Ils n'arrêtaient de toute manière jamais dans cette branche. Elle le trouva, assis à son bureau, sa grande carcasse aux larges épaules reconnaissable entre toutes les silhouettes que l'on pouvait observer là. A l'image de l'homme plus robuste que les autres qu'il était, il avait les épaules pour sa charge, au sens propre et au figuré. Mais bien plus encore, c'était son bon cœur qui lui valait sa place et le respect qui lui incombe

Myriana s'approcha dans son dos et passa ses deux bras autour de son cou, les laissant pendre sur ses épaules où elle appuya aussi sa tête après l'avoir embrassé sur sa joue. Wenham était comme son frère et jamais elle ne le verrait comme moins. Avec lui, elle pouvait parler d'à peu près tout sans avoir peur d'être jugée ni qu'il ne perde patience. A croire que cet homme n'était pas humain ou bien trop pour appartenir à l'espèce de ce siècle. "Encore en train de te crever à la tâche ?" demanda-t-elle tout doucement.